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Le 9 juin, une fausse élection pour un faux Parlement

Par Jacques Nikonoff, 3 mai 2024

Il pourrait paraître excessif de parler de fausses élections et de faux Parlement pour qualifier la journée du 9 juin 2024. Pourtant, interrogeons-nous sur ce qu’est une élection et sur ce qu’est un Parlement. Ou plutôt sur ce qu’ils devraient être.

Le ministère de l’Intérieur, sur son site internet, répond à sa façon à la première question. À l’interrogation « Pourquoi je vote ? », il répond « c’est un acte citoyen qui permet de choisir ses représentants à l’occasion d’un scrutin. » Si cette réponse n’est pas incorrecte, elle est malheureusement partielle. Car une élection ne sert pas simplement à élire des représentants. Encore faut-il que ces représentants représentent réellement et correctement les citoyens, et qu’ils disposent de la volonté et des pouvoirs d’agir dans des enceintes disposant de vraies prérogatives.

Sur le site Internet de l’Assemblée nationale, on peut lire que sa « mission est de voter les lois, de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. » Là non plus ce n’est plus tout à fait le cas, car la Ve République a considérablement affaibli le rôle du Parlement au bénéfice du président de la République quand ce dernier dispose de la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, les pouvoirs appartenant au législateur sont rognés depuis des décennies par le système de l’Union européenne (Commission européenne, Conseil européen, Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice de l’Union européenne) et trois cours « suprêmes » françaises (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation).

C’est pire avec le « Parlement » européen, car ce dernier n’a pas récupéré les pouvoirs perdus par le Parlement français. Il en a encore moins.

Voter les lois ?

Le pouvoir d’initiative concernant les actes législatif, par exemple les directives, règlements et décisions, revient à la Commission européenne et non au « Parlement » européen. Ce dernier peut simplement demander de « soumettre » – le choix de ce mot est intéressant ! – « toute proposition appropriée » pour la mise en œuvre des traités (article 225 TFUE). Même avec la « procédure législative ordinaire » (anciennement « codécision »), le « Parlement » européen ne dispose que d’un pouvoir consultatif car le Conseil européen n’est pas tenu de suivre l’avis du « Parlement » européen.

Il existe en outre des « procédures législatives spéciales » où le Conseil européen est le seul législateur :

• La politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

• Les dérogations aux règles du marché intérieur et le droit de la concurrence.

• La fiscalité.

• Certains accords internationaux négociés par l’Union européenne.

• L’adhésion à l’Union européenne de nouveaux États membres.

• L’article 50 du traité de Lisbonne concernant le retrait d’un pays de l’Union européenne.

Le « Parlement » peut approuver ou rejeter une proposition législative dans ce cadre, ou même proposer des amendements, mais le Conseil n’est pas tenu juridiquement de suivre l’avis du « Parlement ».

Par ailleurs, il est vrai que le « Parlement » européen établit le budget annuel de l’Union européenne avec le Conseil européen. Mais c’est le Conseil qui établit la partie recettes ! Ajoutons que l’article 122 TFUE permet au Conseil européen et à la Commission européenne de prendre des décisions budgétaires en urgence, sans demander l’accord du « Parlement » européen. C’est une sorte d’article 49-3 à l’européenne !

Contrôler l’action du Gouvernement (la Commission européenne en l’espèce) ?

Le « Parlement » européen peut poser des questions écrites et orales. Mais il n’existe aucune obligation imposant au Conseil européen ou à la Commission européenne de répondre ! Le « Parlement » européen peut censurer la Commission européenne à condition d’obtenir les 2/3 des voix. Aucun cas ne s’est jamais présenté depuis la création du « Parlement » européen en 1979.

Evaluer les politiques publiques ?

Sur le papier, le « Parlement » européen peut créer des commissions d’enquête. Mais le site internet du « Parlement » européen ne permet pas d’en connaître la liste, d’obtenir les rapports, et de savoir les suites.

Il est donc parfaitement fondé de parler de fausses élections et de faux « Parlement » européen. Quelle que soit la majorité qui ressortira de ces fausses élections, l’orientation du système de l’Union européenne sera exactement la même, à peu de différences près. Car ces orientations ne sont pas définies par le « Parlement » européen, mais par les traités européens, notamment le traité de Lisbonne imposé à la France alors que son peuple avait voté non à 55 % au référendum de 2005. La Commission européenne est chargée de le mettre en œuvre.

Cette réalité apparaît de plus en plus clairement aux yeux des citoyens. C’est une des raisons principales qui explique l’énorme taux d’abstention aux « élections » européennes. Les motifs de voter, en effet, ne sont pas liés à la matière européenne. Ils sont liés à des préoccupations de politique nationale, plus exactement de politique politicienne et électoraliste.

C’est ainsi que cette élection est présentée par beaucoup de commentateurs comme une élection de mi-mandat entre deux élections présidentielles. Le véritable but de cette fausse élection serait donc de sanctionner le président de la République en place. Dans le même temps, les partis politiques présentent des listes pour mettre à jour les rapports de force entre eux afin d’exister, gesticuler, gagner de l’argent pour ceux qui auront des élus. Et ceci toujours dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.

Comme pour l’élection présidentielle, les « élections » européennes sont le théâtre où se joue le spectacle désormais bien rodé des duettistes Le Pen/Macron. Voter Macron (pour la liste qu’il soutient) serait voter « utile » ; voter Le Pen (Bardella) serait voter « inutile » puisqu’il ne s’agirait que d’un vote sanction. Madame le Pen et Monsieur Mélenchon se rejoignent sur un point, celui de considérer ces « élections » européennes comme le « premier tour de la présidentielle ».

Les Républicains, coincés entre le RN et la macronie, doivent être présents sous peine de disparaître plus vite que prévu, avalés par les duettistes. Incapables de refonder leur logiciel politique, par exemple par une mise à jour du gaullisme, ils vont de toute façon disparaître car ils ne servent à rien.

La gauche établie (PS, EELV, PCF) veut exister, se compter, pour modifier le rapport de force aujourd’hui favorable à LFI et à Jean-Luc Mélenchon. Le seul objet est la prochaine candidature à la présidentielle qui remplacera celle de Jean-Luc Mélenchon, et la répartition des postes aux législatives entre les différents partis.

Le parti de Monsieur Zemmour, Reconquête, est un parti-rongeur. Son seul objet est de ronger le RN, car si les grandes forces politiques de gauche et de droite ont fait monter le RN pour jouer du « vote utile » et gagner les élections (surtout la présidentielle) à coup sûr, il ne faut pas non plus qu’il monte trop haut. C’est pourquoi Monsieur Zemmour a été lancé dans le circuit pour ronger le RN.

Les souverainistes sont dispersés, divisés, incapables de faire taire les egos de leurs chefs et de s’unir pour présenter une alternative au système de Bruxelles. Ils sont dans la contradiction et l’incohérence car on ne peut pas vouloir sortir du système de l’Union européenne d’un côté, et vouloir y entrer via le « Parlement » européen d’un autre côté.

Bref, rien d’intéressant dans tout cela. Les citoyens qui iront voter, participeront ainsi à des opérations de basse cuisine électorale, probablement à leur insu. Ceux qui s’abstiendront seront les plus conscients de la réalité qui se joue sur nos yeux, de cette mascarade. Ils sont la majorité et ils sont l’avenir.

Boycott des européennes !

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